S'il n'y avait pas de règle organisant le marché du travail, la loi de l'offre et de la demande conduirait au pire résultat : les travailleurs, dont le salaire est la condition déterminante de leur survie et de celle de leurs ayants droit, seraient dans l'obligation d'accepter les « offres » des employeurs que l'idéologie de leur classe conduit à « offrir » le salaire le plus bas possible. L'image la plus réaliste d'un capitalisme sans règle est donnée par ces gravures du 19ème siècle représentant les files d'attentes de travailleurs à la porte des usines devant le bureau d'embauche au jour le jour.
Sans entrer dans trop de détails, on retiendra quand même que le travail use les travailleurs qui voient leur espérance de vie diminuer, et ce, d'autant plus que leur rémunération est faible et que leurs conditions de travail sont difficiles, alors que le capital se reconstitue, même après avoir distribué un revenu – la plus-value – aux propriétaires rentiers du capital. C'est ce qui fonde l'opposition irrémédiable entre la reproduction de la valeur de la force de travail et l'accumulation du capital. D'un côté, la force de travail crée le pouvoir d'achat nécessaire pour assurer le coût de la vie des travailleurs, anciens, actuels et futurs sous forme de salaires directs ou socialisés (sécurité sociale, assurance chômage, retraites complémentaires, services publics), d'un autre côté, l'excédent brut d'exploitation (EBE) assure la reproduction élargie, c'est-à-dire en croissance, du capital et le pouvoir d'achat des propriétaires. Le fait qu'il existe des propriétaires qui soient eux-mêmes les patrons de leur entreprise, ou que les dirigeants soient désignés par les propriétaires en tant que fondés de pouvoir ne change rien à cette réalité : les chefs d'entreprise, propriétaires directs ou fondés de pouvoir des propriétaires, administrent les entreprises au nom de l'intérêt des propriétaires. S'il y a donc une concurrence, une compétition, elle a d'abord lieu au sein de l'entreprise entre les chefs d'entreprise qui agissent au nom des propriétaires du capital et les salariés qui ont la responsabilité d'assurer le coût de la vie, pour eux-mêmes, pour leurs ayants droit, et, par l'intermédiaire du salaire socialisé, pour les jeunes, les privés d'emploi (assurance chômage), les retraités (assurance vieillesse et retraites complémentaires), les malades (assurance maladie), et les familles (allocations familiales).
Mine de rien, en défendant le pouvoir d'achat des salaires, les travailleurs ont la responsabilité d'assurer les conditions de vie de plus de 90 % de la population : les salariés eux-mêmes et leurs ayants droit, mais aussi le pouvoir d'achat de tous les bénéficiaires du salaire socialisé – privés d'emploi, ou retraités, malades ou chefs de famille. C'est cela, la reproduction de la valeur de la force de travail. Statistiquement, tout salarié a d'abord été un ayant droit. Puis il fait partie de la population active (y compris pendant les périodes de privation d'emploi : on ne le répètera jamais assez, les chômeurs font partie de la population active). Enfin, si la nature et l'absence d'accident lui permettent d'arriver à l'âge de la retraite, il sera retraité. On voit bien que la ségrégation sociale n'est pas une fonction des classes d'âge, mais des rapports de production qui déterminent la répartition de la valeur ajoutée entre propriétaires du capital et reproduction de la force de travail.
Mais il y a un paradoxe. Ceux qui ont appartenu, appartiennent, ou appartiendront à la population active (dont 93 % sont des travailleurs salariés actifs ou privés d'emploi). Cette très grande majorité de la population représente la force principale au sein de la société. Mais elle est à la fois inconsciente de son unité profonde, donc de sa force, et victime de toutes les tentatives de divisions menées à bien par les forces sociales et politiques qui soutiennent, de fait, les intérêts des propriétaires :
Les catégories professionnelles traditionnelles, ouvriers, employés, techniciens, agents de maîtrise, ingénieurs et cadres, existent et, comme on dit, on les rencontre tous les jours. Mais on doit faire les commentaires suivants : s'il existe des différences, elles ne sont pas liées à la personne, ce ne sont pas les individus qui sont différents mais les conditions sociales de vie et de travail. Prenons un exemple : l'espérance de vie. Si tous les individus sont génétiquement différents entre eux, il n'existe pas de caractéristique génétique spécifique à une catégorie sociale de la population qui serait absente du génôme des autres catégories sociales et réciproquement. Pour parler concrètement, il n'y a pas, d'un côté, tous les ouvriers petits, bruns aux yeux marrons, et les rentiers, grands, blonds aux yeux bleus. Cette hypothèse est fausse : elle est le fondement idéologique du racisme. On doit se souvenir qu'en France, parmi les médecins très connus, le docteur Alexis Carrel, prix Nobel de médecine en 1912, publia en 1935 un essai, « L'Homme, cet Inconnu », dans lequel il écrit : « La répartition de la population d’un pays en différentes classes n’est pas l’effet du hasard ni de conventions sociales. Elle a une base biologique profonde. Car elle dépend des propriétés physiologiques et mentales des individus […]. Ceux qui sont aujourd’hui des prolétaires doivent leur situation à des défauts héréditaires de leur corps et de leur esprit. ». Ou bien Carrel a usé de substances hallucinogènes ou bien il se laisse conduire par les mêmes délires idéologiques.
Dans ses statuts, au contraire, la CGT « agit pour une société démocratique, libérée de l’exploitation capitaliste et des autres formes d’exploitation et de domination, contre les discriminations de toutes sortes, le racisme, la xénophobie et toutes les exclusions ».
Par conséquent, les militants CGT ne tomberont pas dans les pièges qui leur sont destinés :